[CONTRIBUTION] Prix Chercheurs en Actes. le Gagnant « Ecole inclusive » : L’Ecole maternelle Tony Laine à Poitiers

L’école maternelle Tony Lainé à Poitiers (académie de Poitiers) a mis en place un dispositif « Un maître supplémentaire en maternelle » qui a été récompensé par le prix « École inclusive » dans le cadre de la première édition (2020) du Prix Chercheurs en actes. Ce prix vise à récompenser les projets pédagogiques qui s’appuient sur la recherche, l’expérimentation ou la comparaison internationale. Nous avons interviewé le collectif enseignant impliqué dans le projet pour en savoir plus sur ses objectifs et ses réalisations. Il ne s’est pas contenté de répondre aux questions, il vous propose en plus une belle vidéo !

Pourquoi ce dispositif expérimental ?

Notre école se situe en REP dans un quartier où un grand nombre de familles ne parle pas français à la maison et est très éloigné de la culture scolaire pour des raisons sociales, culturelles ou linguistiques.

Nos élèves rencontraient des difficultés persistantes dans la maîtrise de la langue orale (prédicteur fort de la réussite) et dans l’acquisition de la posture d’élève (attention, compréhension des attendus, transfert des acquis, autonomie)

L’équipe était en difficulté pour remédier à ce constat et prévenir l’échec scolaire.

Dans ce contexte-là et en lien avec le référentiel de l’éducation prioritaire, nous avons réfléchi en équipe à la façon dont il serait possible d’enseigner plus explicitement les compétences que l’école requiert pour assurer la maîtrise du socle commun, réduire les écarts et développer le plaisir d’apprendre, en privilégiant la prévention à la remédiation.

Pour cela, il nous fallait travailler 3 axes :

  • un axe en direction des élèves pour prévenir l’échec scolaire ;
  • un axe en direction du collectif enseignant pour apprendre à travailler autrement et innover ;
  • un autre en direction des familles pour rassurer, expliciter, coopérer.

Il nous est apparu qu’un maître supplémentaire à temps plein sur l’école était indispensable pour mener à bien cette ambition.

Le collectif enseignant a donc rédigé et présenté un projet au DASEN. Ce dernier a octroyé un moyen humain à titre expérimental sur notre école.

En quoi votre projet est-il innovant ?

* Le projet est innovant par le mode d’intervention auprès des élèves. La présence d’un maître supplémentaire permet en effet :

  • de travailler avec des effectifs réduits et en co-intervention ;
  • d’obtenir, par le taux d’encadrement, de meilleures conditions d’apprentissage (en particulier la baisse du niveau sonore dans la classe) ;
  • une observation et une analyse plus fines de l’activité, par l’enseignant de la classe et le maître supplémentaire (regards croisés), sans parasitage ;
  • de différencier dans les difficultés et points d’appui ceux qui sont pertinents et ceux qui sont anecdotiques (du fait du grand nombre d’élèves auquel l’activité s’adresse).

L’harmonisation dans le mode d’intervention, dans toutes les classes, et pour l’ensemble d’une cohorte d’élèves, induit une harmonisation des pratiques, des supports et des outils utilisés.

*Le projet est innovant par le travail mené en équipe et au niveau du développement professionnel :

Cette action a permis à l’équipe d’aller plus loin dans la réflexion pédagogique au service des élèves qui en ont le plus besoin.

Par l’intérêt suscité, le travail d’équipe est devenu un véritable travail collectif enseignant qui a appris à définir et hiérarchiser les objectifs, à développer des capacités d’autorégulation et de réflexivité entre autres. Séquences et séances co-construites, co-observation, regards croisés, réflexions partagées. Des gestes professionnels appris, des méthodes pédagogiques expérimentées, et des outils communs co-construits qui s’exportent dans le cadre ordinaire de la classe.

Un collectif enseignant qui a (re)trouvé du pouvoir d’agir, l’envie de partager, le plaisir d’enseigner.

*Le projet est innovant par le travail mené en équipe avec le CARDIE :

  • accompagnement dans la « gestion » du dispositif
  • aide à la diffusion du dispositif (fiche Inovatheque, journées académiques de l’innovation, prix « chercheurs en actes » )
  • auto-évaluation de la démarche d’innovation
  • échange d’expertises
  • formation à l’analyse de pratiques.

*Il est innovant par le lien avec une équipe de recherche :

Le CeRCA (Centre de Recherche sur la Cognition et l’Apprentissage) a évalué, selon une méthodologie expérimentale, l’efficacité du dispositif sur les élèves dans le domaine du langage oral : les résultats montrent, après deux années de fonctionnement, une meilleure performance des élèves de notre école dans les compétences langagières, par rapport au groupe témoin. Par ailleurs, des effets dérivés ont été observés (mais non mesurés) : transfert des compétences dans la posture d’élève, meilleure compréhension des attendus dans tous les apprentissages, meilleure justification des réponses (argumentation améliorée).

*Il est innovant par le travail mené avec des élèves de maternelle dans le domaine de l’ « Apprendre à apprendre » :

Le travail sur ce dispositif a permis à l’équipe de prendre conscience du rôle fondamental de la métacognition pour développer une posture d’élève efficiente dans tous les domaines d’apprentissage. Les activités menées en méthodologie en début de projet visaient l’autonomie de l’élève. Nous avons observé non seulement une plus grande autonomie, mais aussi des améliorations dans la posture et dans l’attitude d’élève face aux apprentissages. Ceci au niveau de la compréhension des attendus, de la motivation, de l’attention, de l’écoute, de la permanence de la consigne et de la finalité de l’activité. Les élèves ont rapidement réinvesti cette nouvelle posture dans toutes les autres activités menées en classe, ce qui a conduit à des progrès significatifs dans les compétences visées. Il nous est alors apparu évident que la construction par l’élève de compétences métacognitives, était le préalable à l’appropriation des savoirs, ce qui nous a conduit à développer un nouvel axe centré sur l’Apprendre à apprendre. Parallèlement le maître supplémentaire a bénéficié d’une formation Min (module de formation d’initiative nationale) à l’INSHEA de Suresnes intitulé « Apprendre à apprendre ».

Mise en œuvre :

A. En direction des familles :
– moments de classe ouverte suivi d’un échange en présence du maître supplémentaire – ateliers mensuels de co-éducation (échanges entre parents animés par deux enseignants)

B. En direction du collectif enseignant:
– Pilotage : co-conception, réflexivité, hiérarchisation des objectifs, régulation…
– Formations par échange d’expertises, auto-formations

C. En direction des élèves :
Activités langagières :
— Narramus (éditions Retz) (Laurent GOIGOUX et Sylvie CEBE, Isabelle ROUX-BARRON)
— Dialogue Pédagogique à Evaluation Différée (Pierre PEROZ)
— « Jouer pour Parler, Parler pour Jouer… le langage en jeu » ® ( Natacha Espinosa) 
lexique et catégorisation
Apprendre à apprendre : par l’apprentissage de l’utilisation de pictogrammes adaptés, permettre à chaque élève :
— de prendre conscience de l’objet d’apprentissage, de l’objet d’attention, de ses propres démarches, et de devenir autonome.
— d’acquérir une posture d’élève et des démarches efficientes.
— d’éprouver le plaisir de réussir et d’en tirer une motivation intrinsèque. Cet apprentissage est travaillé sur deux volets :
La méthodologie : pour devenir autonome, l’élève utilise un guide « visuel » pour comprendre, reverbaliser et mémoriser :
—– la consigne : « Ce que je vais faire »
—– la chronologie, les différentes étapes
—- le matériel nécessaire
La métacognition :
—- Apprendre à identifier le domaine et l’objet d’apprentissage « Ce que je vais apprendre ou réinvestir »
—- Prendre conscience de ses propres procédures mentales : « Comment je vais faire pour réussir ». Exemple : écouter / mémoriser / faire revenir l’image dans ma tête/ répéter, etc.
—- Prendre conscience de la posture adéquate pour apprendre : posture, écoute, attention, etc.

Et maintenant ?

Les supports visuels utilisés n’étant pas tous libres de droit, ils ne peuvent pas être diffusés dans l’immédiat, mais nous y travaillons.

Ce qui est sûr c’est que leur utilisation auprès des élèves, même les plus jeunes, fonctionne de façon surprenante, sans que nous ayons les ressources suffisantes pour en comprendre les mécanismes.

Nous avons des hypothèses (en particulier dans la mobilisation de la mémoire de travail) qu’il serait important de confronter à une analyse scientifique en lien avec les sciences cognitives et l’apport des neurosciences.

Une recherche action dans ce sens constituerait un prolongement très riche à notre dispositif actuel.


Et maintenant… Une vidéo pour illustrer le projet en sons et images !

A propos du Prix

Le président du Conseil scientifique de l’Éducation nationale, Stanislas Dehaene, a conduit les délibérations du jury de la 1ère édition du Prix national « Chercheurs en actes », dont la création est le fruit d’un partenariat entre la Conférence des recteurs de l’Éducation nationale, le Réseau des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé), l’Institut des hautes études de l’éducation et de la formation (ih2éf), le Réseau Canopé et la GMF.


Interview réalisée par Elena Pasquinelli et Anne Bernard-Delorme, août 2020

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