[Témoignage] L’expérience des Learning Lab
Adeline André est professeure agrégée (sciences de la vie et de la Terre), inspectrice à l’académie de Versailles, ancienne membre de la Fondation La main à la pâte, où elle s’est occupée de la formation continue des enseignants et de la production de ressources en sciences.
Les Learning Labs sont, au sein d’établissements scolaires, des tiers-lieux qui utilisent les apports des sciences cognitives pour favoriser les apprentissages de tous les élèves. Ce sont à la fois des lieux et des dynamiques qui visent en priorité l’amélioration des apprentissages des élèves mais qui s’adressent également à l’ensemble de la communauté éducative : professeurs, parents, personnels administratifs et techniques, etc. Les lieux constituent le cœur visible du Learning Lab (LL), où des affiches présentent de manière simple et pédagogique des messages sur les apprentissages. La dynamique d’un Learning Lab tourne autour d’ateliers, animés par des membres de la communauté éducative, dont les élèves. Un atelier peut avoir comme thème les fonctions du cerveau liées à l’apprentissage ou focaliser sur des outils pédagogiques à mutualiser. Par exemple des élèves du collège ont animé des moments de mutualisation d’outils pour préparer des évaluations et le Diplôme National du Brevet. Actuellement implanté dans 20 établissements, le réseau de LL s’appuie sur une charte commune qui fixe les principes généraux mais permet des mises en œuvre spécifiques au contexte local.
Pourquoi avoir pensé aux LL?
Au cours de ma carrière de professeur et de formatrice, j’ai conçu des formations sur le cerveau qui apprend et j’ai travaillé avec des chercheurs en sciences cognitives et en neurosciences. Ayant également travaillé avec des Fab Lab, j’ai été très intéressée par les dynamiques qu’ils génèrent. Enfin au cours de ma formation d’inspectrice, je me suis familiarisée avec le concept de société apprenante et de territoires apprenants. Nous ces éléments mis ensemble m’ont conduite à imaginer des tiers-lieux (comme les Fab Lab) porteurs des valeurs d’une communauté apprenante et utilisant les apports des sciences cognitives au service des apprentissages. J’ai proposé ce projet dans l’académie de Versailles, où je prenais mes fonctions, en 2018. Nous nous sommes lancés avec 3 établissements expérimentateurs. Aujourd’hui le réseau compte 20 LL et il continue à s’étendre. La mise en réseau des acteurs impliqués est un élément moteur qui conditionne à mon avis la réussite du dispositif. C’est en échangeant, partageant et construisant avec les autres que l’on avance.
Pourquoi un lieu physique?
Le lieu physique, repérable par le logo du réseau, est très différent d’un LL à un autre. Certains établissement ont profité de ce projet pour revoir complètement l’organisation du CDI et le dédier au LL. D’autres ont des espaces beaucoup plus restreints. Mais un mur peut suffire ! Cet espace est dédié à exposer les production de la communauté pédagogique, présentant des messages sur les apprentissages. Très souvent les affiches sont réalisées par des élèves.
Pouvez-vous nous donner un exemple d’animation caractéristique d’un LL ?
Un des établissements, présent dans le réseau depuis le début, avait une cohorte d’élèves de 3e en très grande difficulté scolaire. Les enseignants de cette classe ont alors monté un projet très emblématique d’un LL. L’ensemble des professeurs concernés par les épreuves écrites du brevet a construit des outils d’aide à la mémorisation à long terme et a initié les élèves au grandes fonction du cerveau. Avec l’appui de l’équipe de direction, des ateliers ont été organisés sur temps scolaire, hors temps scolaire et en lien avec le dispositif « devoirs faits ». Au final, les résultats au brevet ont été similaires à ceux de l’année précédente. L’équipe a reconduit le dispositif cette année et l’a même étendu aux autres classes. Les outils d’aide à la mémorisation sont actuellement affichés dans toutes les salles de permanence.
De façon générale, dans tous les LL une des premières étapes est la formation des élèves. Plusieurs stratégies sont mises en œuvre : formation lors d’une semaine de rentrée spéciale, formation par le professeur principal sur des heures de vie de classe, ou sur des heures d’accompagnement personnalisé, ou dans un club auquel les élèves peuvent participer soit sur la pause méridienne soit après les cours.
Chaque LL a une grande liberté d’action, pour s’adapter au contexte local. Le dénominateur commun est représenté par des valeurs partagés de réussite pour tous et de respect des connaissances scientifiques.
Pour favoriser les échanges, nous pouvons compter sur un espace Magistère dédié au réseau des LL. Nous organisons des journées de travail en présentiel et des moments de travail à distance. Des outils collaboratifs permettent également de co-construire.
Comment la présence d’un LL influe sur la dynamique d’un établissement ?
Très souvent les professeurs ressources proposent des moments d’échange informels. Les collègues peuvent venir partager des questionnements. Les professeurs ressources peuvent alors apporter des éclairages scientifiques ces échanges. C’est ainsi que l’on peut se confronter autour des effets d’un enseignement massé avec un enseignement étalé dans le temps ou se poser la question du type de mémoire que l’on favorise étant donnée l’organisation des cours et des évaluations sommatives.
Pour s’approprier les contenus travaillés dans le réseau et y contribuer, il est nécessaire de connaitre l’essentiel des apports des sciences cognitives à l’éducation. Les professeurs ressources des LL sont volontaires et tous les volontaires sont les bienvenus ! Dans l’académie de Versailles, nous proposons de former quelques professeurs par établissement, que nous appelons les professeurs ressources, et ces professeurs ressources forment ensuite leurs collègues.
Des scientifiques nous accompagnent dans la formation des personnes ressources et travaillent avec nous sur les contenus de formation.
Pourquoi est-ce important de faire comprendre le fonctionnement du cerveau aux élèves?
Certaines stratégies permettent de mieux apprendre que d’autres. Mais ces stratégies sont souvent contre-intuitives et demandent un effort supplémentaire de la part de l’élève. Nous faisons le pari que mieux comprendre les raisons du succès de ces stratégies – au niveau du fonctionnement du cerveau – aidera les élèves à faire cet effort.
Quels sont les thème préférentiel des LL?
Nous travaillons sur plusieurs fonctions fondamentales pour l’apprentissage : la mémorisation, la compréhension, l’engagement actif, l’attention, la métacognition, la régulation des comportements perturbateurs.
Il est important de faire réaliser aux élèves que la mémoire à long terme joue un rôle essentiel dans tout le processus d’apprentissage, y compris au niveau de la compréhension. Je définirais cette dernière comme l’action mentale consistant à mettre en lien des éléments présents dans la mémoire à long terme. Si peu d’éléments sont stabilisés dans la mémoire à long terme, il est bien évidemment difficile d’accéder à la compréhension. Lest stratégies de consolidation des éléments en mémoire à long terme sont donc travaillées de façon privilégiée. Nous faisons passer le message qu’il est bien plus efficace d’apprendre en se posant des questions que d’apprendre en lisant un cours. Nous accompagnons les équipes pédagogiques dans la construction d’outils qui mettent en lien des questions et des réponses. Ces outils peuvent se présenter sous différentes formats : papier ou numérique, flash-cards ou tableaux… Et nous accompagnons les élèves dans l’utilisation de ces outils. Ainsi chaque élève peut suivre les progrès de sa mémorisation et agir en fonction de ses résultats. Pour cela il nécessite de feed-back, et notamment de feed-back immédiats, particulièrement favorables à la mémorisation. Nous réfléchissons donc à des stratégies pédagogiques favorisant ce genre de feed-back comme par exemple la correction immédiate des évaluations sommatives.
Pour être retenu longtemps, un élément a besoin d’être appris plusieurs fois. Nous valorisons donc également la mémorisation répétée.
A quel cycle scolaire s’adressent les LL?
Les LL sont actuellement implantés dans des collèges et des lycées. Ils touchent donc des élèves de 11 à 18 ans. Nous avons comme objectif d’étendre les actions à des réseaux éducatifs inter-degré et en particulier de travailler avec les écoles élémentaires associées à chaque collège.
Qu’est-ce que la participation aux LL a apporté aux enseignants et aux élèves, jusqu’ici ?
La participation au réseau des LL a apporté plusieurs choses : 1) une communauté structurée avec qui échanger, se former et s’enrichir, 2) une légitimité au sein de l’établissement pour faire connaitre les apports des sciences cognitives au service des apprentissages, 3) un sens renouvelé des choix pédagogiques puisque la littérature scientifique donne des arguments sur les stratégies qui sont les plus efficaces pour apprendre.
Les élèves quant à eux ont trouvé une motivation pour se remettre au travail. En effet, c’est assez démobilisateur de fournir des efforts et d’avoir de mauvaises notes ! Là, les élèves font des efforts cognitifs mais en utilisant des stratégies qui fonctionnent mieux. De plus très souvent, on les accompagne dans ces efforts au sein même du collège. On leur apprend également à réaliser ce travail à plusieurs et se posant mutuellement des questions et en évaluant ensemble sir les réponses correspondent à celles attendues ou non.
Est-ce que vous pensez pouvoir mener des expériences avec des laboratoires pour mesurer l’impact?
Ce n’est pas envisagé pour le moment mais ce serait vraiment un très beau projet. Si des laboratoires sont intéressés pour évaluer les effets du réseau des Learning Labs, nous sommes preneurs !