[Contribution] Les fondements des apprentissages numériques

Karine Mazens & Fanny Gimbert – Laboratoire de Psychologie et NeuroCognition Université Grenoble Alpes
Si une certaine sensibilité aux quantités, ou sens du nombre, existe dès la naissance, le chemin qui mène à la maîtrise de notre système numérique est long et nécessite de nombreux apprentissages. Les recherches menées ces vingt dernières années apportent un éclairage nouveau sur les différentes étapes du développement de la cognition numérique chez l’enfant. La première partie de ce chapitre décrit comment les quantités sont appréhendées et représentées par l’être humain. Des questions d’apprentissage sont ensuite abordées à travers l’utilisation de la ligne numérique, les débuts de l’écriture des chiffres et de l’arithmétique, l’importance des doigts. Enfin, sont abordés les troubles du calcul ainsi que des pistes d’intervention pour aider les enfants dans leurs apprentissages.
De quelles façons l’enfant appréhende-t-il les quantités ?
L’être humain dispose de trois processus qui lui permettent d’appréhender les quantités. L’utilisation de l’un ou l’autre de ces processus peut dépendre des compétences des individus et de la situation proposée. Lorsque nous sommes en présence d’un ensemble de 4 objets ou plus, notre appréhension de la quantité est dite approximative (ex : lorsque nous entrons dans une pièce dans laquelle il y a 15 personnes, nous ne pouvons pas dire d’emblée qu’il y en a 15). A l’inverse, lorsque nous sommes en présence d’un ensemble de 1 à 3 objets (voire 4 chez certains individus), notre appréhension de la quantité est dite exacte (ex : s’il y a 3 bonbons sur la table, nous percevons d’emblée cette quantité de façon exacte). Bien que très rapides, ces deux processus présentent certaines limites. L’estimation est imprécise, tandis que la subitisation ne permet de traiter que des petites quantités. Avec l’entrée dans le langage et l’apprentissage des mots-nombre, l’enfant accède ensuite à un autre processus de quantification permettant l’appréhension exacte de toutes les quantités : le dénombrement.
Estimation
Cette capacité repose sur le Système Approximatif du Nombre (SAN) qui nous permet de comparer deux quantités, de faire des calculs approximatifs ou d’estimer la quantité d’un ensemble d’objets. Il est dit approximatif car il est imprécis. Il en résulte, par exemple, que deux quantités trop proches ne seront pas distinguées par ce système. Pour déterminer la précision du SAN, la plupart des études utilisent une tâche de comparaison approximative de quantités. Il s’agit de choisir, parmi deux ensembles de points, celui représentant la plus grande quantité. Les ensembles de points sont présentés rapidement de façon à ce qu’il soit impossible de les dénombrer. L’utilisation de cette tâche auprès de différents groupes d’âge, depuis le nourrisson jusqu’à l’âge adulte, a permis de montrer que la précision du SAN s’affinait avec l’âge, permettant ainsi la discrimination de quantités de plus en plus proches. Lorsque les enfants ont appris la chaîne numérique verbale, ils sont alors capables d’estimer la quantité d’un ensemble, autrement dit d’associer une quantité approximative et un mot-nombre. Cette capacité a été observée dès l’âge de 5 ans. Lorsqu’il s’agit d’estimer une quantité perçue, les réponses données sont des sous-estimations. A l’inverse, lorsqu’il s’agit de produire une quantité approximative à partir d’un mot-nombre, les réponses données ont tendance à être surestimées. Quel que soit l’âge des participants, la précision de ces estimations diminue lorsque la taille des nombres à estimer augmente. Les erreurs d’estimation sont moins importantes chez l’adulte que chez l’enfant, confortant l’idée que la précision du SAN s’affine avec l’âge.
Subitisation
Cette faculté, appelée aussi « subitizing », permet d’identifier très rapidement et précisément les très petites quantités, inférieures ou égales à 4, sans avoir recours au comptage. Ce processus a été identifié grâce à une tâche de jugement de quantité, en remarquant que les temps de réponses pour les petites quantités de 1 à 3 étaient très similaires et très rapides, tandis que les temps de réponses pour les quantités à partir de 4 augmentaient linéairement avec la quantité. Cette limite s’explique par notre système visuo-attentionnel incapable de traiter plus de 4 objets simultanément dans l’espace. Au-delà, afin de traiter tous les objets, le processus de dénombrement, qui est un processus séquentiel, prend le relais. Le subitizing joue un rôle décisif dans l’acquisition de la signification des premiers mots-nombre. Il permet au jeune enfant d’associer les premiers mots-nombre appris à leur quantité exacte. Des enfants, dès 2 ans, sont ainsi capables d’identifier précisément des collections d’objets comprises entre 1 et 3, sans avoir eu à les dénombrer.
Dénombrement
Le dénombrement consiste à mettre en correspondance la chaîne numérique verbale (les mots-nombre) avec chaque élément d’une collection, dans le but de déterminer le cardinal (la numérosité totale) de celle-ci. Il permet ainsi d’appréhender les grandes quantités de manière exacte. Le dénombrement étant à la base des apprentissages numériques, il est abordé plus en détails dans la partie « Quels sont les premiers pas vers l’arithmétique ? ».
En bref ● L’enfant possède une intuition numérique lui permettant, d’une part, d’appréhender des grandes quantités de manière approximative grâce au Système Approximatif du Nombre, et d’autre part, d’appréhender les très petites quantités de manière exacte grâce au processus de subitisation. ● L’apprentissage du dénombrement lui permettra ensuite d’appréhender toutes les quantités de manière exacte. |
Comment les nombres sont-ils représentés et traités au niveau cérébral ?
Dès que l’enfant a appris à dire, lire et écrire des nombres, il possède, tout comme l’adulte, trois codes pour représenter le nombre. En effet, dans notre culture occidentale, un nombre peut être représenté en chiffres arabes (ex : « 6 »), ou à l’aide d’un « mot-nombre » (ex : « six »), ou bien encore par une quantité concrète, discrète (ex : ●●●●●●) ou continue (ex : une position sur une ligne numérique). Grâce aux techniques d’imagerie cérébrale, l’équipe de Stanislas Dehaene a découvert que chacune de ces représentations activait des circuits corticaux particuliers. Cette organisation anatomique et fonctionnelle pour le traitement des nombres a été appelée le « triple code ». Lorsque nous voyons un chiffre arabe, comme 6, le cortex visuel est sollicité pour décoder ce symbole avant de l’associer à la quantité correspondante. Si nous voyons ce même nombre écrit en lettres, « six », les zones cérébrales impliquées dans le traitement du langage, situées dans l’hémisphère gauche, sont aussi mises en jeu pour le décodage orthographique, lexical et phonologique du mot. Enfin, l’accès à la quantité associée à un chiffre arabe, à un mot-nombre ou bien à un ensemble d’objets met toujours en jeu la région intrapariétale, région essentielle pour accéder à la sémantique des nombres. Ces différents réseaux cérébraux communiquent entre eux, permettant ainsi le passage d’un code à l’autre en fonction de la tâche demandée. Toute tâche numérique fait appel à un ou plusieurs de ces codes. Par exemple, si un enfant est amené à choisir parmi deux sachets de bonbons ayant visiblement un contenu différent, il utilisera spontanément ses capacités d’estimation pour choisir celui où la quantité est la plus importante. Lors d’une dictée de nombres à écrire en chiffres, le code verbal est utilisé pour comprendre le mot-nombre dit oralement par l’enseignant, puis le code arabe entre en jeu pour écrire les chiffres correspondants. Le passage d’un code à un autre, comme dans l’exemple de la dictée, est rapide chez l’adulte maîtrisant bien les nombres, mais nécessite une pratique répétée chez le jeune enfant pour devenir efficace (voir partie « Quelles interventions sont possibles ? »).
En bref ● Le traitement des nombres repose sur trois circuits cérébraux différents, associées à trois codes de représentation des nombres : le code arabe, le code verbal et le code des quantités. Ces trois codes communiquent entre eux. ● Chez le jeune enfant, le passage d’un code à l’autre nécessite un entraînement répété pour qu’il se fasse efficacement, c’est-à-dire rapidement et précisément. |
En quoi l’utilisation d’une ligne numérique orientée de gauche à droite est-elle importante ?
La représentation spatiale des nombres
De nombreuses études ont mis en évidence l’existence d’un lien fort entre les nombres et l’espace. On retrouve d’ailleurs cette notion d’espace dans certaines expressions courantes de la langue française, telles que « 5 est plus près de 6 que de 9 » ou « je sais compter très loin ». Une première observation liant nombres et espace est l’effet de distance : plus deux nombres sont voisins, plus nous mettons de temps à les discriminer. Ainsi, par exemple, nous mettons plus de temps pour comparer 64 et 65 que pour comparer 34 et 65. De plus, nous mettons aussi plus de temps pour comparer 124 et 125 que 4 et 5. Cette seconde observation est appelée l’effet de taille : pour une différence identique entre deux nombres, les temps de réponse augmentent à mesure que les nombres deviennent plus grands. Ces observations permettent de mettre en évidence un phénomène essentiel pour comprendre comment nous traitons les nombres : chaque fois que nous sommes confrontés à un nombre, notre cerveau ne peut s’empêcher de le traiter comme une quantité. Ainsi, lorsque deux nombres doivent être comparés, deux quantités sont automatiquement activées. Or, un nombre donné active non seulement la quantité correspondante, mais également les quantités voisines. C’est pourquoi, à cause de l’imprécision de ces activations, il est plus coûteux, donc plus long, de comparer deux « nombres proches » que deux « nombres éloignés ». Une ligne numérique mentale. La métaphore d’une ligne numérique mentale a été évoquée afin de décrire l’organisation de la représentation spatiale des quantités et d’expliquer ces différents effets observés. Ainsi, nous nous représentons mentalement les quantités comme étant alignées et ordonnées sur une droite. Des quantités très différentes occupent donc des positions très espacées sur cette ligne et des quantités proches des positions rapprochées, donc confondables plus facilement (cf. effet de distance). Cette ligne numérique mentale est dite compressible, ce qui expliquerait l’effet de taille observé : les petites quantités apparaissent très espacées alors que les plus grandes sont plus rapprochées. Ainsi, plus les quantités augmentent, plus l’espace entre elles diminue, comme sur une échelle logarithmique. Orientée de gauche à droite. Une autre observation, tout aussi surprenante a été faite par Stanislas Dehaene et ses collègues en 1990. Ils ont montré que nous associons spontanément les grands nombres avec le côté droit de l’espace et les petits nombres avec le côté gauche. Ce phénomène a été appelé l’effet SNARC, un acronyme de l’anglais Spatial Numerical Association of Response Codes (association spatio-numérique des codes de réponses). Cet effet SNARC dépendrait de la direction de l’écriture. Il a été observé que la direction de cette association s’inverse dans les cultures qui lisent de droite à gauche (l’Arabe et l’Hébreux par exemple). Ce résultat a permis de préciser que notre représentation mentale des quantités serait organisée, selon un ordre croissant, sur une ligne orientée de gauche à droite. Modification avec le développement et l’éducation. Notre ligne numérique mentale se modifie au cours du développement et en fonction de l’éducation. Ces résultats sont issus de mesures faites chez des enfants et adultes grâce à une tâche appelée tâche d’estimation sur ligne numérique. Cette tâche a été conçue pour accéder à la précision de la représentation mentale des quantités. Il s’agit d’estimer la position d’un nombre cible (ex : placer le nombre 7) sur une ligne bornée, présentant « 0 » à gauche et « 10, 100, ou 1000 » à droite. Ce paradigme a permis de montrer qu’avec l’apprentissage, les enfants passent d’une représentation logarithmique, c’est-à-dire qu’ils accordent plus d’espace entre les petits nombres qu’entre les grands nombres, à une représentation linéaire dans laquelle le même espace est conservé entre tous les nombres. Ce passage d’une représentation logarithmique à une représentation linéaire dépend de l’échelle utilisée dans la tâche. Par exemple, à 5 ans, les enfants ont une organisation logarithmique des nombres entre 0 et 100, tandis qu’à partir de 7 ans, elle est clairement devenue linéaire. Pour les nombres entre 0 et 1000, la linéarité se construit plus tard. Elle n’est pas encore établie à 7 ans, mais l’est à 9 ans. Le rôle de l’éducation dans la modification de la ligne numérique mentale a été mis en évidence en comparant les réponses d’adultes mundurucus à celles d’adultes américains. Les Mundurucus sont un groupe d’indiens d’Amazonie n’ayant pas accès à une éducation formelle aux mathématiques. Leur langue ne possède pas de système de comptage et ne comprend que quelques noms de nombres pour évoquer les quantités de 1 à 5. Au-delà de cette limite, les Mundurucus ont recours aux mots « peu », « beaucoup » pour parler de quantités. Ainsi, contrairement aux adultes américains, les adultes mundurucus se sont révélés avoir une organisation logarithmique de la représentation des nombres entre 0 et 10, suggérant qu’une éducation mathématique serait nécessaire pour construire une représentation linéaire des quantités. Utiliser la ligne numérique en classe pour affiner la ligne numérique mentale des enfants. La linéarité de la représentation des quantités joue un rôle essentiel dans le développement des connaissances numériques. Des chercheurs ont montré que plus les enfants ont une représentation linéaire, meilleurs sont leurs scores à un test de mathématiques. Etant donné que la représentation des quantités semble se linéariser avec l’éducation en mathématiques (cf. étude avec les Mundurucus), Siegler, un auteur américain qui s’intéresse depuis très longtemps aux apprentissages numériques chez l’enfant, s’est demandé quels outils pédagogiques pourraient aider les enfants à construire cette linéarité. Pour passer d’une représentation logarithmique à une représentation linéaire des nombres il faut que l’enfant intègre qu’il existe la même distance entre 1 et 2 qu’entre 9 et 10 et entre tous les nombres consécutifs n et n+1. Pour favoriser cette intégration, ce chercheur a proposé d’utiliser un jeu de déplacement de pions sur une ligne numérique. L’hypothèse inhérente au choix de la forme linéaire du jeu était que la proximité entre le matériel physique et la représentation interne des quantités désirée devrait permettre un apprentissage efficace. Ce jeu, très facile à construire, s’appelle La Grande Course, et ressemble au jeu de l’oie, sauf que le plateau est linéaire horizontal au lieu d’être circulaire. En fonction de l’âge des enfants, on choisit l’étendue des nombres (de 0 à 10 pour les très jeunes enfants, puis de 0 à 30, etc.). On utilise des pions et un dé dont on fait varier les nombres en fonction de la ligne (ex : pour la ligne entre 0 et 10, prendre un dé qui ne comprend que les quantités 1 et 2). Une différence importante avec les jeux de plateau classiques est qu’on demande aux enfants de dire à voix haute les nombres de la ligne sur lesquels ils passent avec leur pion et non les chiffres du dé. Ainsi, la grandeur des nombres inscrits sur le plateau de jeu est encodée par divers indices favorisant la mémorisation : (a) moteur, le nombre de mouvements faits pour déplacer le pion jusqu’à un nombre donné ; (b) verbal, le nombre de mots-nombre entendus et dits ; (c) visuel, la distance parcourue par le pion depuis le départ. Une série d’études menées avec des enfants de 4 à 6 ans, issus de milieux sociaux défavorisés, a montré que jouer avec ce jeu pendant 4 ou 5 séances de 15 minutes développait bien la linéarisation de la représentation des quantités. De plus, cela permettait aussi aux enfants de progresser dans certaines compétences numériques, telles que la connaissance de la chaîne numérique verbale, la lecture de nombres écrits en chiffres arabes et l’arithmétique. Il est intéressant de noter que les enfants ayant le moins d’expérience avec des jeux de société sont ceux ayant le plus progressé grâce à ce jeu. L’importance de la linéarité du plateau de jeu a été mise en évidence, en montrant que l’efficacité du jeu linéaire était supérieure à celle d’un jeu identique mais ayant une forme circulaire. Enfin, le jeu linéaire est également efficace lorsqu’il est mené par l’enseignante lors d’un atelier en petit groupe.
En bref ● Nombres et espace sont étroitement liés. Des biais spatiaux sont observés dans notre traitement des nombres. ● Chaque fois que nous voyons un nombre, nous l’associons à la représentation mentale d’une quantité. ● L’hypothèse de la ligne numérique mentale suppose que nous nous représentons mentalement les quantités comme étant alignées et ordonnées sur une droite. Cette ligne numérique mentale est généralement orientée de gauche à droite dans les cultures occidentales. ● Des jeux de déplacements de pions sur ligne numérique sont bénéfiques pour les apprentissages numériques, en particulier avec des enfants issus d’un milieu social défavorisé (peu d’expérience avec les jeux). |
L’enfant associe-t-il spontanément les symboles numériques à des quantités, comme l’adulte ?
Chaque fois qu’un adulte est confronté à un nombre, son cerveau ne peut s’empêcher de le traiter comme une quantité. Qu’en est-il chez l’enfant ? Tout d’abord, l’effet de distance (plus deux nombres sont voisins, plus nous mettons de temps à les discriminer) a été observé chez des enfants de 5 ans, suggérant qu’ils associaient déjà les nombres symboliques à des quantités. Une étude menée à l’université de Harvard a apporté une preuve supplémentaire pour renforcer cette idée. Persuadé que les jeunes enfants peuvent se baser sur leur intuition des quantités pour raisonner à partir de nombres symboliques, on a proposé à des enfants de 5 ans de résoudre des problèmes d’addition, de soustraction et de comparaison.
La réponse impliquait toujours de choisir le personnage ayant le plus de bonbons à la fin de l’histoire. Les résultats montrent qu’en moyenne les enfants réussissent la plupart du temps à trouver la réponse correcte : 73 % de réponses correctes pour les problèmes avec additions, 68 % pour les soustractions et 80 % pour les comparaisons. Or, il n’est pas envisageable que ces enfants aient eu recours au calcul exact pour résoudre ces problèmes, puisque les nombres mis en jeu sont beaucoup trop grands pour permettre à des enfants de cet âge de trouver le résultat correct. Mais alors comment ces enfants ont-ils procédé ? En remarquant que les réponses des enfants étaient meilleures lorsque les deux nombres à comparer étaient éloignés que lorsqu’ils étaient proches, les auteurs en ont déduit qu’ils avaient réussi à résoudre ces problèmes en convertissant les nombres présentés en quantités approximatives. Des enfants, dès 5 ans, seraient donc capables de construire une manière de résoudre des problèmes symboliques en utilisant leur système approximatif du nombre. Cette étude met bien en évidence les bénéfices apportés par le recours de ces enfants à leur sens des nombres. Encourager les enfants, mêmes plus grands, à s’appuyer sur leur intuition numérique, par exemple pour estimer le résultat attendu d’un calcul, ne peut être que bénéfique pour garder le sens parfois oublié des quantités derrière les symboles.
Quels sont les premiers pas vers l’arithmétique ?
Ecriture des chiffres et transcodage. L’enfant peut commencer à se familiariser assez tôt avec certains chiffres arabes qu’il va rencontrer dans sa vie quotidienne ou à l’école. Par contre, il faudra plusieurs années pour qu’il parvienne à lire et à écrire des nombres à plusieurs chiffres sans erreur de transcodage et pour qu’il comprenne l’écriture positionnelle. Le transcodage concerne le passage d’un code à un autre, par exemple passer d’un mot-nombre oral à son écriture en chiffres arabes. Le code arabe ne comprend que 10 chiffres (de 0 à 9) alors que le code verbal comprend beaucoup plus de mots (le lexique comprend les mots de zéro à seize, les noms des dizaines, cent, mille, million, milliard). L’enfant va devoir apprendre « par cœur » ces deux codes, les règles qui permettent de construire les nombres (la syntaxe) et la correspondance entre ces deux codes. Apprendre les nombres en langue française est particulièrement fastidieux car la suite des nombres verbaux n’est pas toujours logique et le transcodage n’est pas toujours transparent. De ce fait, la mémorisation peut être difficile et certaines erreurs fréquentes. Par exemple, l’enfant pourra dire après « quarante-neuf », « quarante-dix », comme pour « soixante-dix », ou encore, dans une dictée de nombres en chiffres arabes, il écrira 10020 pour « cent-vingt ». Sur l’écriture stricto sensu des chiffres arabes, une erreur fréquemment observée en grande section et CP est l’écriture en miroir (cette erreur existe également pour l’écriture des lettres). C’est une écriture symétriquement correcte des chiffres. On sait aujourd’hui que cette écriture en miroir est un phénomène normal au cours du développement et qu’une des explications concerne le rôle de l’amorçage moteur. L’orientation que l’enfant donne à un chiffre est déterminée par le geste moteur juste précédent. Un enfant écrira plus ou moins un chiffre en miroir en fonction du chiffre qu’il a écrit juste avant. Par exemple, le chiffre 6 commence à être écrit par un geste de droite à gauche alors que le chiffre 3 commence par être écrit par un geste de gauche à droite. Si l’enfant a écrit correctement le chiffre 6, il risque d’écrire ensuite le chiffre 3 en miroir.
La chaîne verbale et le dénombrement. Dans notre société, dès que l’enfant commence à maîtriser relativement bien sa langue maternelle, vers 2-3 ans, il va rencontrer les nombres verbaux, soit pour désigner des petites quantités (ex : « tu as deux bonbons »), soit pour commencer à répéter la suite des nombres (ex : « un-deux-trois »). Au début, la chaîne verbale apprise « par cœur » n’a encore aucune signification numérique. Le dénombrement commence lorsque l’enfant va mettre en correspondance terme à terme les éléments d’une collection avec les éléments de la suite conventionnelle des mots-nombre. Cette activité suppose de connaitre la suite des mots-nombre, de pointer les objets à dénombrer (le pointage peut être visuel et/ou tactile) et de coordonner mots-nombre et pointages afin de respecter le principe de stricte correspondance terme à terme (à un mot-nombre correspond un seul objet et réciproquement). Les enfants commencent à maîtriser cette activité assez tôt à condition qu’on les mette dans des situations optimales. Ainsi, le jeune enfant commet moins d’erreurs s’il peut toucher les éléments un par un pour bien distinguer, au fur et à mesure de son dénombrement, les éléments déjà comptés des éléments encore à compter. De même, une façon de voir quelles sont les compétences de l’enfant, consiste à lui présenter une poupée qui effectue le dénombrement (c’est l’adulte qui parle pour la poupée) et à lui demander de contrôler ce dénombrement (le résultat est-il exact ou la poupée s’est-elle trompée ?). Dans ces conditions, on met en évidence que les enfants maîtrisent assez tôt certains aspects du dénombrement. Ceci nous amène à faire la distinction entre performance et compétence. Un enfant peut échouer dans une tâche, non pas parce qu’il ne possède pas la compétence, mais parce que les contraintes de la tâche sont trop exigeantes par ailleurs. Réussir un dénombrement suppose de maîtriser certains principes énoncés par Gelman. Principe d’ordre stable : les mots-nombre doivent être engendrés dans le même ordre à chaque comptage (« un, deux, trois, quatre », etc.). Principe de stricte correspondance terme à terme : chaque élément de la collection doit être désigné par un mot-nombre et un seul. Principe de cardinalité : le mot-nombre qui désigne le dernier élément compté d’une collection représente le nombre total d’éléments. Principe d’abstraction : seules sont abstraites des éléments comptés, leurs caractéristiques d’entités distinctes (on peut compter un ensemble d’objets hétérogènes). Principe de non pertinence de l’ordre : l’ordre dans lequel les éléments d’une collection sont énumérés n’affecte pas le résultat du comptage à condition que le principe de correspondance terme à terme soit respecté. Si certains de ces principes, comme l’ordre stable sont maitrisés assez tôt, d’autres demandent plus d’expériences pour être réellement compris. Avec l’âge et la pratique, l’enfant va améliorer ses procédures qui vont lui permettre d’appliquer ces principes à des collections de plus en plus vastes. Bien que critiquables sur certains points, les travaux de Gelman ont montré l’intérêt de s’intéresser au fonctionnement de l’enfant et ont pu mettre en évidence, par la suite, l’importance de faire pratiquer des activités numériques plutôt que des activités de logique dans les apprentissages. Du dénombrement à l’arithmétique. Après avoir compris que les nombres verbaux et les nombres écrits en chiffres désignent des quantités, l’enfant va apprendre à manipuler les nombres pour comprendre qu’il n’est plus nécessaire de compter les éléments un à un lorsqu’on a une opération à effectuer. Par exemple, s’il doit additionner les trois bonbons qu’il a dans sa main droite avec les deux bonbons qu’il a dans sa main gauche, il n’a pas besoin de tout recompter, il peut effectuer l’opération 3+2 et ainsi obtenir un résultat identique (5 bonbons). Avant de connaitre « par cœur » la réponse, c’est-à-dire de pouvoir la récupérer en mémoire à long terme, les enfants vont utiliser diverses stratégies.
Exemples de stratégies utilisées par les enfants pour résoudre de petites additions (exemple : 3+4) :
• Compter sur les doigts à partir de 1 : l’enfant représente les deux quantités avec les doigts sur chacune des mains (3 doigts d’un côté et 4 doigts de l’autre côté) puis recompte le tout.
• Comptage verbal à partir de 1 : l’enfant énumère l’ensemble (1234567).
• Minimum (avec ou sans les doigts) : l’enfant compte à partir du plus grand des deux termes (567).
• Décomposition : l’enfant utilise un calcul intermédiaire dont il connait la somme (3+3=6, 6+1=7).
• Récupération en mémoire : l’enfant donne la réponse directement (7).________________
Au cours de l’école maternelle, les enfants utilisent plutôt des stratégies de comptage. Au CP, pratiquement tous les enfants commencent à utiliser la stratégie minimum et quelques enfants commencent à utiliser la décomposition. Les stratégies qui consistent à compter à partir de 1 diminuent puis disparaissent alors que la fréquence de la récupération augmente. Au-delà de l’évolution avec l’âge, l’utilisation de l’une ou l’autre de ces stratégies varie chez un même enfant en fonction de différents facteurs. Ces facteurs peuvent être liés à la tâche ou à l’enfant lui-même. Tout d’abord, il y a la difficulté de l’addition. L’enfant choisira plus facilement de compter pour un problème difficile (5+ 3) et la récupération pour un problème facile (2+2). Le temps dont disposera l’enfant entre également en considération. Si on lui demande de donner une réponse rapidement, il recourra plus à la récupération en mémoire, au risque de se tromper. Ensuite, si l’enfant a une bonne base de connaissance en calcul, c’est-à-dire s’il connait beaucoup de résultats « par cœur », il utilisera plus la récupération. Enfin, des facteurs affectifs comme confiance en soi, peuvent également influencer le choix de l’enfant dans l’utilisation d’une stratégie plutôt qu’une autre. Un enfant qui n’a pas confiance en lui ou qui veut être parfaitement sûr de sa réponse, préférera utiliser une stratégie de comptage plutôt que la récupération en mémoire. Pouvoir produire une réponse exacte et rapide est une acquisition majeure pour que l’enfant puisse ensuite réaliser des calculs plus complexes ou focaliser son attention sur d’autres aspects des problèmes qui lui seront proposés. En d’autres termes, il aura plus de ressources attentionnelles disponibles s’il n’a pas à effectuer les petits calculs de base. La pratique intensive des procédures arithmétiques est donc fondamentale. Les enfants parviennent plus ou moins facilement à faire ce cheminement vers la récupération en mémoire ou vers des procédures très rapides. Pour ceux qui ont des difficultés, mieux vaut les laisser utiliser un comptage, y compris sur les doigts, plutôt que les obliger à donner une réponse « par cœur » qui risque au contraire de retarder leur apprentissage en renforçant leurs erreurs. Enseigner explicitement des stratégies peut aussi s’avérer utile (ex : stratégie minimum, décomposition). En ce qui concerne la soustraction, celle-ci est beaucoup moins pratiquée dans la vie quotidienne et dans les apprentissages. Les différentes stratégies utilisées par les enfants vont suivre le même cheminement que pour les additions. Cependant, la soustraction donne très peu lieu à un apprentissage « par cœur » et le plus souvent (même chez l’adulte), la réponse est recherchée par l’addition correspondante (ex : pour effectuer 9-5, on utilise 5+4=9). Lorsque les enfants commencent à apprendre les tables de multiplication, on observe alors un effet négatif sur les tables d’addition pour lesquelles les temps de réponse augmentent. La raison de ce phénomène est que les faits arithmétiques ne sont pas séparés dans notre mémoire. Notre mémoire fonctionne de façon associative et c’est également ce qui explique que les tables de multiplication soient si difficiles à retenir. Par exemple, lorsque nous devons résoudre 7×8, nous hésitons entre 56, 48, 63 et 54, mais pas avec 57 qui est pourtant très proche de la réponse exacte. La raison est que 57 n’existe pas dans les tables alors que 48, 63 et 54 sont des résultats enregistrés dans notre mémoire. Pour rappeler un résultat exact, il faut donc que notre mémoire des faits arithmétiques ne soit pas trop sensible aux interférences, et sur ce point, il existe vraisemblablement des différences entre individus.
En bref ● Les activités de dénombrement doivent être nombreuses et variées afin que l’enfant en maîtrise les principes sous-jacents. ● Du fait de la complexité de la langue française, passer du code verbal au code arabe et réciproquement conduit à des erreurs chez les jeunes élèves. ● L’écriture en miroir des chiffres est une erreur fréquente au début de l’écriture. ● Les enfants doivent être encouragés à connaitre « par cœur » les faits arithmétiques mais le cheminement peut être long et difficile pour certains. ● Lorsqu’un résultat n’est pas connu « par cœur », différentes stratégies sont utilisées par les enfants, qui dépendent de nombreux paramètres (type de tâche, confiance, etc.) ● Le fonctionnement de notre mémoire rend difficile l’apprentissage des tables de multiplication. |
Doigts et nombres : quels liens ?
Qui n’a jamais utilisé ses doigts pour désigner une quantité ou pour effectuer une petite addition ? Quand on s’interroge sur les liens entre doigts et nombres, on trouve alors des éléments de réponse à différents niveaux et des travaux très intéressants, parfois éloignés de ce qu’on aurait intuitivement pensé. Historiquement, l’utilisation des doigts pour désigner des quantités remonte aux temps anciens. Bien avant d’avoir inventé un système symbolique pour représenter des quantités et pour pouvoir compter, l’être humain a utilisé les parties de son corps. Ainsi, les quantités étaient nommées par une partie du corps, comme les doigts et les articulations (ce système est encore utilisé dans certaines tribus, notamment en Nouvelle Guinée). C’est d’ailleurs des 10 doigts de la main que proviendrait la base 10. Remarquons que d’autres bases sont utilisées, notamment la base 60 pour découper le temps en minutes et secondes. Cette base proviendrait de la rencontre de deux civilisations, une utilisant les 3 articulations des 4 doigts autres que le pouce et une autre utilisant les 5 doigts (3x4x5=60). Pour l’enfant notamment, les doigts de la main constituent une représentation analogique des quantités qui est toujours disponible, et sur laquelle il peut s’appuyer dans différents contextes : pour faire une correspondance terme à terme, pour désigner une quantité, pour effectuer un petit calcul. L’utilisation des doigts est relativement identique entre les individus d’une culture donnée. En Europe, on utilise par exemple les doigts en partant du pouce de la main gauche pour désigner les cinq premiers chiffres, puis on utilise la main droite. Les configurations de doigts sont également identiques. Par exemple, pour désigner une quantité de trois éléments, on lève le pouce, l’index et le majeur. Les travaux en neurosciences ont mis en évidence la proximité anatomique des zones du cerveau (lobe pariétal) dédiées à la représentation des doigts et à la représentation des quantités. Une très jolie étude menée par Fayol et ses collègues a pu montrer ce lien au cours du développement de l’enfant, notamment entre la GS de maternelle, le CP et le CE2 (les mêmes enfants ont été suivis pendant quatre ans). Le degré de maturation du lobe pariétal a été exploré à l’âge de 5 ans, à travers des habiletés perceptivo-tactiles. Les épreuves évaluant ces habiletés consistaient notamment à demander à l’enfant de reconnaitre ses doigts qui avaient été préalablement stimulés par l’adulte (l’enfant a les yeux fermés lorsque l’adulte touche certains de ses doigts). Les autres mesures effectuées chez l’enfant concernaient son développement intellectuel général et ses capacités dans diverses épreuves numériques. Les résultats indiquent des liens entre ces différentes mesures qui varient en fonction de l’âge des enfants et en fonction des différents aspects du nombre évalués. En grande section, la plupart des performances arithmétiques sont mieux prédites par les habiletés perceptivo-tactiles que par le développement général. En CP, l’automatisation de la chaîne verbale dépend essentiellement de la pratique et de l’âge, et donc, la plupart des résultats sont mieux prédits par le développement général. Par contraste, la résolution de problèmes, qui requiert l’élaboration et le traitement des représentations des quantités, est mieux prédite par les habiletés perceptivo-tactiles. En CE2, le score aux épreuves perceptivo-tactiles, recueilli à l’âge de 5 ans, prédit mieux que le niveau de développement intellectuel, évalué à 8 ans, la réussite des élèves de CE2 à des activités numériques de calcul mental et de résolution de problèmes. A l’inverse, les résultats aux opérations et à l’épreuve de numération, faisant appel à la récupération directe des nombres en mémoire verbale, sont mieux prédits par le niveau de développement intellectuel que par les performances perceptivo-tactiles. En résumé, on peut retenir que le meilleur prédicteur du développement arithmétique chez l’enfant de 8 ans est sa faculté, à 5 ans, de reconnaître et de différencier ses doigts, plus que son niveau de développement intellectuel. Face à ce résultat, la question que se pose alors toute personne cherchant à favoriser les apprentissages chez l’enfant, est de savoir comment se développent les habiletés perceptivo-tactiles, et si, les entrainer peut ensuite aider les enfants en mathématiques. Très peu d’études ont exploré ces questions.
En bref ● Les nombres et les doigts entretiennent des relations étroites notamment au niveau des procédures de comptage et des zones cérébrales impliquées dans certains traitements numériques. |
Qu’est-ce que la dyscalculie ?
Si le terme de dyslexie est aujourd’hui largement répandu dans le grand public, le terme de dyscalculie l’est beaucoup moins. La compréhension de ce trouble a pourtant bénéficié d’avancées considérables ces dernières années, grâce aux travaux menés en neurosciences et sciences cognitives. La proportion d’enfants dyscalculiques varie de 3 à 8 %, en fonction des critères de diagnostic retenus. Les filles et les garçons sont autant atteints et les causes peuvent être génétiques et /ou environnementales. La dyscalculie peut être associée à d’autres troubles comme la dyslexie (30 %) ou le trouble déficitaire d’attention avec hyperactivité (25 %). Le diagnostic n’est pas toujours évident et il sera parfois difficile de différencier un véritable trouble d’un simple retard. Une dyscalculie peut être suspectée lorsqu’un enfant présente de grandes difficultés dans les apprentissages mathématiques alors que son développement intellectuel correspond à celui des enfants de son âge, qu’il suit une scolarité normale et qu’il ne présente pas de trouble sensoriel (vue et audition normales). Par ailleurs, il n’existe pas qu’un seul type de dyscalculie mais plutôt des dyscalculies.Une première forme de dyscalculie, que l’on appelle parfois la dyscalculie pure, ne concerne qu’environ 1 % de la population. Les élèves concernés par ce trouble sont en grande difficulté dès le début des apprentissages, même pour des capacités qui paraissent élémentaires : dénommer des petites quantités, estimer des quantités, mémoriser les tables simples. Deux hypothèses tentent aujourd’hui de donner une explication à ce trouble. Pour certains auteurs, l’origine se situerait au niveau du système approximatif du nombre (cf. paragraphe « Estimation ») qui serait moins précis, et qui donc dès le départ, ne permettrait pas aux enfants d’appréhender les quantités avec précision. Pour d’autres auteurs, l’origine se situerait plutôt au niveau d’une difficulté à lier les nombres symboliques à des représentations analogiques (c’est-à-dire des quantités). Ces difficultés qui concernent l’appréhension des quantités peuvent être repérées assez tôt dans les apprentissages et il existe aujourd’hui quelques jeux et logiciels qui peuvent être utilisés pour aider les élèves. Les autres formes de dyscalculie sont associées à d’autres difficultés dans des domaines tels que le langage, l’attention, la mémoire de travail, les habiletés visuo-spatiales. Les enfants présentent alors des profils de réussite et d’échec différents selon les aspects de la cognition numérique qui sont évalués. Une partie importante des difficultés concerne la connaissance des faits arithmétiques. Les enfants commettent alors beaucoup d’erreurs de calcul mental, mettent beaucoup de temps à répondre, ont des difficultés à mémoriser les tables et n’utilisent pas les stratégies les plus optimales (différentes causes sont actuellement étudiées : faible représentation de la magnitude des nombres, difficultés phonologiques, sensibilité à l’interférence…). D’autres difficultés peuvent concerner l’écriture des nombres, le transcodage (passage des nombres symboliques aux nombres verbaux dans les deux sens). Ces difficultés vont notamment être présentes chez des enfants dyspraxiques ou dysphasiques. Enfin, des difficultés visuo-spatiales peuvent se répercuter dans des épreuves de dénombrement, dans l’écriture positionnelle, dans le positionnement des chiffres dans les opérations. L’existence d’erreurs au cours des apprentissages est tout à fait normale. Il faudra s’interroger sur la présence d’un éventuel trouble si ces erreurs persistent dans le temps. L’enseignant peut repérer les aspects de la cognition numérique qui présentent un retard mais si l’on veut mieux comprendre l’origine des difficultés et les habilités plus générales qui peuvent en expliquer en partie la cause, il faut alors recourir à un bilan complet auprès d’un psychologue spécialisé.
En bref ● On distingue la dyscalculie pure qui se caractérise par une altération du sens du nombre, des autres difficultés en mathématiques qui sont secondaires à d’autres difficultés : mémoire, langage, espace… ● Les aides pédagogiques et les interventions spécialisées doivent prendre en compte les avancées récentes de la psychologie et des neurosciences. |
Quelles interventions sont possibles ?
Voici quelques pistes pour les enseignants et pour les parents qui souhaiteraient aider les enfants dans un cadre autre que celui de l’apprentissage scolaire ou de l’intervention d’un spécialiste. Rappelons qu’avec de jeunes enfants, l’approche ludique est un bon moyen d’obtenir l’adhésion de l’enfant. Il existe aujourd’hui de nombreux jeux de société qui font appel aux nombres. Bien évidemment, ces jeux n’ont pas été pensés en terme de remédiation, mais ils offrent différentes situations dans lesquelles l’enfant est confronté à différents aspects des nombres : différentes représentations simultanées des nombres (quantité, chiffres, mots-nombre), décomposition des nombres, petits calculs arithmétiques, etc. L’efficacité n’est pas démontrée scientifiquement, mais tout laisse penser qu’ils ne peuvent qu’être favorables aux apprentissages. Plus scientifiquement, des chercheurs ont élaboré des jeux de plateau ou informatisés qui s’appuient sur des résultats d’études réalisées auprès d’enfants. C’est le cas de Siegler, qui a montré que jouer à partir d’une ligne numérique permettait de favoriser les apprentissages, surtout chez les enfants de milieu défavorisé, qui ont peu l’occasion de jouer chez eux (Cf. partie « Utiliser la ligne numérique en classe pour affiner la ligne numérique mentale des enfants »). En France, Dehaene et son équipe ont créé deux logiciels en accès libre qui s’appuient sur leurs découvertes en neurosciences. L’Attrape Nombres, destiné aux enfants de 5 à 10 ans (http://www.attrape-nombres.com), et La Course aux Nombres, destiné aux enfants de 4 à 8 ans (http://www.lacourseauxnombres.com), s’appuient sur le modèle du triple code et ont comme principe d’aider les enfants à renforcer les circuits cérébraux de représentation et de manipulation des nombres. Ces logiciels sont présentés sous forme ludique mais précisons que ce sont des jeux de remédiation destinés à des enfants présentant des difficultés. Pour maintenir la motivation de l’enfant et pour rendre le jeu plus efficace, il est préférable d’avoir des temps de jeux assez courts mais réguliers. En France également, Villette a créé un logiciel, l’Estimateur, destiné à entrainer la ligne numérique mentale.
Conclusion
Si les enfants ont une intuition des nombres dès la naissance, le chemin qui mène aux savoirs et savoir-faire mathématiques de fin d’école élémentaire est long et nécessite de nombreux apprentissages. Le nombre va se construire dans ses différentes dimensions, que l’enfant parviendra progressivement à comprendre et à relier : nombre approximatif et nombre exact, codes des représentations, etc. Les travaux de ces dernières années mettent l’accent sur la représentation spatiale des nombres, sur la consolidations des liens entre les différents codes et sur le sens du nombre qui tend parfois à être perdu par les élèves se centrant sur des opérations de calcul compliquées. Au-delà des difficultés inhérentes à tout apprentissage, les données de la recherche permettent de commencer à mieux comprendre les causes de certaines difficultés mais il reste encore de nombreuses expériences à mener, notamment pour développer et tester de nouvelles méthodes d’apprentissage et de remédiation.
Références
- Dehaene, S. (2010). La bosse des maths: quinze ans après. Odile Jacob.
- Fayol, M. (2012). L’acquisition du nombre. Que sais-je ? Paris : PUF.
- Habib, M. (2014). La constellation des dys. Bases neurologiques de l’apprentissage et de ses troubles. Paris : De Boeck, Solal.