[CONTRIBUTION] Pourquoi on aime les histoires ?

Comment faciliter la compréhension et la retention des élèves? Nous aimons écouter des histoires. Peut-on utiliser ce « pouvoir des histoires » en classe et si oui, comment ?

Nous présentons ici la traduction d’un texte écrit par le psychologue américain Daniel T. Willingham

D. Willingham: The privileged status of stories. Ask the cognitive scientist, American Educator, 2004

Daniel Willingham est professeur de psychologie à l’Université de Virginie. Jusque vers 2000, sa recherche a été axée uniquement sur les bases cérébrales de l’apprentissage et de la mémoire. Aujourd’hui, l’ensemble de ses recherches porte sur l’application de la psychologie cognitive à l’éducation. Il écrit la colonne « Ask the cognitive scientist » pour le magazine American Educator et est l’auteur de Why Don’t Students Like School? (trad. fr. Pourquoi les enfants n’aiment pas l’école?) , When Can You Trust the Experts?, et Raising Kids Who Read. Son blog Science & Education est une référence dans le domaine.


Nous aimons écouter des histoires. Peut-on utiliser ce « pouvoir des histoires » en classe et si oui, comment ?

La recherche des 30 dernières années montre que les histoires ont quelque chose de particulier. Elles sont faciles à comprendre et elles sont faciles à retenir. Ce n’est pas seulement parce que nous leur portons une grande attention ; c’est aussi que la construction d’une histoire la rend facile à comprendre et à retenir. Les enseignants peuvent se servir des éléments de base structurant une histoire pour construire le plan de leurs leçons et introduire des concepts compliqués, sans réellement raconter une histoire pendant la classe.

Tout le monde aime les belles histoires. Même les petits enfants qui ont des difficultés à se concentrer en classe sont captivés par un bon conteur. Mais les histoires ne sont pas seulement un moment de plaisir, leurs structures mettent en jeu certains processus cognitifs. Dans le langage des psychologues, les histoires sont « privilégiées psychologiquement » ce qui veut dire que notre cerveau traite les histoires d’une façon particulière. Les histoires sont intéressantes, faciles à comprendre et faciles à retenir. Pour comprendre les raisons de ces avantages, il faut expliquer ce qu’est la structure des histoires.


Qu’est-ce qu’une histoire?

Les définitions du mot « histoire » sont variées, mais attachons-nous à la façon dont les conteurs professionnels —c’est à dire les dramaturges, les scénaristes et les romanciers définissent une « histoire ».  Dans le monde anglo-saxon, on s’accorde à définir les histoires par des caractéristiques de base, parfois appelées les 4 « C » : causality, conflict, complication, character.

Le premier « C » est la causalité. Les événements d’une histoire sont liés entre eux, un événement est la cause ou le début d’un autre. Par exemple, « le roi mourut et alors la reine mourut » présente deux événements liés chronologiquement, mais dire « le roi mourut et la reine mourut de chagrin » lie les deux événements dans une relation de cause à effet.

Le deuxième « C » est le conflit. Dans chaque histoire, le personnage principal a un but, mais des obstacles se dressent pour l’empêcher de l’atteindre. « Scarlett O’Hara aimait Ashley Wilkes, elle l’a donc épousé » a une causalité, mais il n’y a pas beaucoup d’histoire. Une histoire avance au fur et à mesure que le personnage passe à l’action pour lutter contre des obstacles. Dans « Autant en emporte le vent » (Gone With the Wind), le premier obstacle auquel se heurte Scarlett est qu’Ashley ne l’aime pas.

Le troisième « C » représente les complications. Si une histoire était seulement une série d’épisodes dans lesquels le personnage s’acharne à atteindre son but, elle n’aurait pas grand intérêt. Ce qui est intéressant, c’est que les efforts du personnage pour combattre les obstacles créent des complications, c’est à dire de nouveaux problèmes qu’il doit essayer de résoudre. Quand Scarlett apprend qu’Ashley ne l’aime pas, elle essaie de le rendre jaloux en acceptant d’épouser Charles Hamilton, une action qui sera en fait source de nouvelles complications pour elle.

Le quatrième « C » est character, le personnage. Des personnages forts et intéressants sont essentiels pour bâtir de bonnes histoires. Pour que des personnages soient intéressants, la clé, selon les scénaristes et les romanciers, est de permettre au public ou au lecteur de les observer en action. F. Scott Fitzgerald est allé jusqu’à écrire, « l’action est le personnage » (Action is character). Pour nous faire comprendre que Scarlett O’Hara est populaire et coquette, on nous la montre en train de se faire courtiser par deux hommes dès les premières pages du livre.

Les histoires sont intéressantes

Nous pourrions penser que les histoires sont intéressantes parce qu’elles abordent des thèmes que nous trouvons intrinsèquement intéressants, amour, sexe, mort, et équivalents (notons que tous ces ingrédients sont présents dans « Autant en emporte le vent »). Cela est vrai, mais ce n’est pas tout. Nous sommes pris par la lecture d’une histoire plus que par celle d’un document par exemple. C’est ce que tend à prouver l’expérience suivante. Des chercheurs ont demandé à des personnes de lire des textes. Pendant qu’elles lisaient, elles devaient prêter l’oreille à un son émis de temps en temps et de façon imprévisible. Dès qu’elles l’entendaient, elles devaient appuyer sur un bouton aussi vite que possible. L’idée était que si les personnes étaient très absorbées par ce qu’elles lisaient, elles seraient plus lentes à presser le bouton. Les résultats ont montré qu’effectivement, elles étaient plus lentes à réagir au son quand elles lisaient des histoires que quand elles lisaient des documents. Ce résultat a été reproduit maintes fois sous diverses conditions.

Les histoires peuvent être intéressantes en raison de leur structure. La structure des histoires conduit en effet naturellement l’auditeur (ou le lecteur) à faire des déductions qui ne sont ni trop faciles, ni trop difficiles. Une information nouvelle qui nous dérange ou nous bouscule un petit peu, mais que nous pouvons comprendre assez facilement, nous intéresse plus qu’une information nouvelle qui est soit très facile soit très difficile à comprendre. De la même façon, nous aimons les mots croisés ou les anagrammes, mais seulement s’ils sont modérément difficiles. Ils nous ennuient s’ils sont trop faciles et nous frustrent s’ils sont trop difficiles.

Un chercheur a testé l’idée que le lecteur a besoin de faire des déductions de difficulté moyenne pour trouver un intérêt à une histoire. Après avoir fait lire de courts textes à des personnes, il leur a demandé de les classer par ordre d’intérêt. Dans certaines versions, l’avant-dernière phrase contenait une raison dont découlait l’action finale, alors que d’autres versions ne contenaient pas cette phrase. Par exemple, un texte décrivait une femme préparant une soupe et la servant ensuite à son mari.

« Une jeune mariée avait fait une soupe de palourdes pour le dîner et elle attendait le retour de son mari à la maison. Bien que n’étant pas une cuisinière chevronnée, elle avait mis tous les ingrédients dans la soupe. Son mari revint enfin à la maison, s’assit pour dîner et goûta un peu de soupe. (Il était complètement indifférent aux efforts qu’elle avait fournis et il s’était même mis en colère pour lui signifier combien cette soupe était mauvaise.) La pauvre femme jura qu’elle ne cuisinerait plus jamais pour son mari. »

L’avant-dernière phrase est entre parenthèses pour indiquer que certains lecteurs pouvaient la lire et d’autres pas. La version sans l’avant-dernière phrase expliquant la fin a été jugée plus intéressante. Des effets similaires ont été mis en évidence en utilisant des textes à visée plus éducative.

Les histoires sont faciles à comprendre

Les histoires sont plus faciles à comprendre que d’autres formes de textes. Des chercheurs ont demandé à des personnes de lire des textes, qui différaient par leur contenu (plus ou moins familier) ou par leur forme. Certains étaient des histoires (les unes pouvant être très familières, comme par exemple l’histoire de la princesse sur un pois et les autres beaucoup moins connues, comme Bodisat) et certains étaient des documents (par exemple, un document sur les tremblements de terre ou sur les fourmis moissonneuses). Chaque texte était lu sur un écran d’ordinateur, phrase par phrase ; les sujets de l’expérience devaient presser la barre d’espacement quand ils étaient prêts à lire la phrase suivante, de telle sorte que les chercheurs étaient capables de mesurer le temps de lecture. L’analyse de chaque phrase comprenait un certain nombre de critères : le nombre de mots, la difficulté grammaticale, le nombre de propositions (qui permet une mesure linguistique des idées), la position dans le texte, le contenu plus ou moins familier, la narrativité. Les chercheurs ont calculé l’association de chaque critère avec la durée, courte ou longue, des temps de lecture. Ils ont ainsi trouvé que la plupart des critères agissent sur le temps de lecture (par exemple, les sujets étaient un peu plus lents à lire les phrases qui avaient beaucoup de mots), mais c’est la narrativité qui a le plus d’effet, et de loin. Les histoires sont lues plus vite que les documents. Selon ces chercheurs, la rapidité de lecture est un indicateur de la facilité de compréhension.

Nous comprenons facilement les histoires car nous en connaissons la structure et nous savons en général à quoi nous attendre. Quand un événement est décrit dans une histoire, nous nous attendons à ce qu’il soit relié, par une relation de causalité, à un événement survenu antérieurement. Le lecteur utilise sa connaissance de la structure de l’histoire pour relier l’événement en cours à quelque chose d’antérieur. Par exemple, quand Scarlett accepte d’épouser Charles Hamilton, cela semble d’abord insensé puisqu’il nous a été dit qu’elle le considère comme un imbécile. Mais le lecteur sait qu’il y a un lien avec des événements antérieurs et que ce lien est probablement lié aux objectifs du personnage principal. En effet, Scarlett accepte d’épouser Charles Hamilton car cela donne du sens à son premier objectif (épouser Ashley) et au refus de celui-ci.

Les histoires sont faciles à mémoriser

La structure des histoires contribue aussi à la facilité de s’en souvenir. Beaucoup d’études montrent qu’il est en effet facile de les retenir. Dans une étude, des personnes ont écouté les mêmes histoires et les mêmes documents (tremblements de terre ou fourmis) décrits plus haut. Leurs souvenirs ont été testés ultérieurement. Certes, la familiarité avec le sujet abordé par les textes influence le souvenir, mais c’est la narrativité des textes qui a le plus d’effet. Les personnes se souviennent mieux (environ 50% de plus) des histoires que des documents.

Les liens de causalité rendent les histoires faciles à retenir. Par exemple, on fait lire différentes versions d’un même court paragraphe. La dernière phrase est toujours la même, mais l’avant-dernière phrase varie de telle sorte que sa relation de causalité avec la dernière phrase est plus ou moins évident. Le tableau ci-dessous montre les variations de l’avant-dernière phrase d’un texte.

Niveau de causalité (selon les sujets d’expérience)PhrasesPourcentage mémorisé
1 (relation de causalité la plus forte)Le grand frère de Joey le bourra de coups de poing à plusieurs reprises. Le jour suivant son corps était couvert de bleus.69
2Dévalant la colline, Joey tomba de son vélo. Le jour suivant son corps était couvert de bleus.83
3La mère de Joey fut prise de folie furieuse contre lui. Le jour suivant son corps était couvert de bleus.75
4 (relation de causalité la plus faible)Joey alla chez un voisin pour jouer. Le jour suivant son corps était couvert de bleus.50

Ce qui est retenu a été testé environ 35 minutes après la lecture. Le souvenir était pauvre si les phrases étaient très étroitement liées ou au contraire très peu reliées. Le souvenir était d’autant meilleur que le sujet de l’expérience avait à faire une déduction, ni trop facile ni trop difficile, pour lier le sens des phrases.

Une partie de cet effet de mémorisation survient quand les personnes sont en train de lire ou d’écouter l’histoire. Quand la seconde phrase est modérément liée à la première, les personnes sont plus attentives à la façon dont les deux phrases peuvent être reliées. Réfléchir au sens est bon pour la mémorisation. En effet, si on demande aux personnes de détailler les phrases et d’expliciter les liens entre elles, le bénéfice de mémorisation pour les phrases modérément liées disparaît. Il semble donc que les liens modérés encouragent à réfléchir au sens des phrases, tandis que les liens très forts ou très faibles n’ont pas cet effet.La structure de l’histoire apporte un avantage pour la mémoire au moment où on l’écoute mais aussi plus tard quand on essaie de se rappeler. Les liens de causalité sont efficaces pour établir un réseau d’associations. Si on se souvient de l’objectif que se donne le personnage principal, c’est une porte d’entrée pour se souvenir de la façon dont ce personnage essaie d’atteindre ce but, et les événements successifs arrivent les uns après les autres à la mémoire. Par exemple, si vous ne vous rappelez pas bien ce qui arrive à Charles Hamilton, vous pouvez utiliser ce que vous savez de la structure de l’histoire : il était impossible à Scarlett de rester mariée avec lui, ce qui vous amène à vous rappeler qu’il meure.

Nous recherchons des liens de causalité

La structure du récit a une signification en terme de psychologie—meilleure compréhension, meilleure mémorisation—parce que nous savons ce que nous attendons d’une histoire. Nos attentes sont sous-tendues par une représentation mentale qui est naturellement favorable à la structure de l’histoire. Dans beaucoup de cultures (pas dans toutes cependant), les histoires comportent causalités et objectifs, de telle sorte que l’auditoire les attend. Cette attente est si forte que l’auditeur utilisera ces deux paramètres quand il voudra se souvenir de l’histoire, même si certains éléments manquent.Prenons l’histoire tirée du folklore des Indiens d’Amérique (ci-dessous). Dans une étude qui a fait date, Frederic Bartlett (1932) avait demandé à des écoliers anglais de lire cette histoire dans laquelle certains événements survenaient sans lien de causalité apparent avec des événements antérieurs. Quand, des semaines plus tard, on a demandé aux enfants de se rappeler l’histoire, ils ont ajouté des éléments et en ont retranché d’autres qui n’avaient pas de lien de causalité apparent, dans un effort inconscient de rendre l’histoire plus cohérente avec l’idée qu’ils s’en étaient fait. Les enfants avaient en particulier des difficultés à comprendre pourquoi certains personnages étaient des fantômes et pourquoi les Indiens mouraient à la fin : ces deux faits étaient particulièrement changeants dans leur souvenirs. Par exemple, des enfants omettaient le fait que les guerriers étaient des fantômes, un enfant se souvenait que « Fantôme »  était le nom d’un clan ou d’un autre groupe d’Indiens. Beaucoup d’enfants ont ajouté et inséré des liens de causalité pour expliquer la mort à la fin, racontant par exemple que le jeune homme semblait tout à fait en bonne santé, mais qu’il devenait malade le matin suivant et donc qu’il mourait.

La guerre des spectres (The war of the ghosts, Frederic Bartlett 1932)

« Une nuit, deux jeunes hommes d’Egulac descendirent à la rivière pour chasser le phoque, et pendant qu’ils étaient là-bas, tout devint brumeux et calme. Alors, ils entendirent des cris de guerre, et ils pensèrent : « peut-être y a-t-il une bataille. » Ils fuirent du rivage et se cachèrent derrière une souche d’arbre. Des canoës s’approchaient, et ils entendaient le bruit des pagaies, et l’un vit un canoë s’approcher d’eux. Il y avait cinq hommes dans le canoë, et ils disaient :

 » Nous voulons vous emmener. Nous allons remonter la rivière et faire la guerre. »

L’un des deux jeunes hommes dit : « Je n’ai pas de flèche. »

« Il y a des flèches dans le canoë, » dirent-ils.

« Je n’irai pas. Je pourrais être tué. Ma famille ne sait pas où je suis allé. Mais toi, » dit-il, se tournant vers l’autre, « tu peux aller avec eux. »

Alors un des jeunes hommes s’en alla et l’autre revint chez lui.

Et les guerriers remontèrent la rivière jusqu’à une ville de l’autre côté de Kalama. Les gens vinrent à la rivière et ils commencèrent à se battre, et beaucoup furent tués. Mais à ce moment, le jeune homme entendit les guerriers dire « vite, rentrons : cet Indien a été touché. » Et alors, il pensa « oh ! Ce sont des fantômes ». Il ne se sentait pas mal, mais eux disaient qu’il avait été blessé.

Alors les canoës revinrent à Egulac et le jeune homme descendit sur le rivage, revint chez lui et fit un feu. Et il racontait à tout le monde : « Voyez, j’ai accompagné les fantômes, et nous sommes allés combattre. Beaucoup de nos compagnons ont été tués, et beaucoup de ceux qui nous ont attaqués ont été tués. Ils disaient que j’ai été touché mais je ne me suis pas senti mal. » 

Il disait tout cela et il devint calme. Quand le soleil se leva, il tomba. Quelque chose de noir sortit de sa bouche et son visage se crispa. Les gens se levèrent et poussèrent des cris.

Il était mort. »

La causalité est un signal si fort pour la mémoire qu’elle peut être utilisée par l’auditoire même pour des documents. Des personnes qui ont écouté des extraits d’un manuel d’histoire se sont rappelé plus tard les événements décrits, non pas dans l’ordre dans lequel elles les avaient entendus, mais dans l’ordre de cause à effet.

Histoire et structure des histoires en classe

Les histoires sont intéressantes, faciles à comprendre et faciles à retenir ; même les jeunes enfants d’âge préscolaire reconnaissent la structure d’une histoire. Mais ce qui a conduit notre cerveau à interagir avec les histoires d’une façon si privilégiée, n’est pas clairement élucidé. Le processus de compréhension des actions et des personnages d’une histoire pourrait être le même que celui que nous mettons en jeu pour comprendre les actions et les intentions des gens dans la vraie vie.

Comment les enseignants peuvent-ils s’inspirer de la structure des histoires ? Il y a deux possibilités. On peut soit raconter plus d’histoires en classe ou injecter des éléments de la structure des histoires dans les cours.

Raconter plus d’histoires en classe

Les histoires sont intéressantes, faciles à comprendre et faciles à retenir, et les enfants ont une appréciation de la structure des histoires même avant leur entrée à l’école primaire. Elles permettent d’une part à l’enseignant d’introduire de nouveaux contenus de façon plaisante et intéressante et d’autre part aux élèves d’acquérir du vocabulaire de base de ce nouveau domaine et d’être mieux préparés pour aller plus loin. Si on s’intéresse aux histoires en tant que moyen vraiment efficace pour faire passer des contenus, les moments les plus favorables  semblent être après le déjeuner, à la fin d’une discussion complexe quand un résumé simple est nécessaire et pendant les dernières moments de la journée de classe. Un enseignant peut raconter une histoire qui complète le point pédagogique d’une leçon, et en utilisant ainsi l’histoire, il le fait de façon moins difficile, plus plaisante et plus intéressante. Raconter une histoire peut être bienvenu le jour où les élèves sont très fatigués—et c’est plus attrayant que d’autres moyens, comme exiger le silence en classe, par exemple.

Les élèves peuvent lire des histoires en dehors de la classe

Certains livres utilisent la structure narrative pour transmettre un contenu compliqué. C’est le cas en particulier des biographies de grandes figures de la science, des mathématiques, de l’Histoire ou des arts. Les biographies donnent une tournure personnelle au domaine que les enseignants demandent aux élèves d’apprendre. Les biographies des scientifiques se lisent souvent comme des romans policiers, puisqu’ils partent à la recherche de solutions d’un problème scientifique. La passion et la persévérance des grands scientifiques et des grands mathématiciens sont aussi un excellent exemple pour les élèves. Les élèves peuvent également acquérir une vision personnelle intéressante en lisant une autobiographie d’une personne ordinaire qui a vécu lors d’événements historiques qu’ils sont en train d’étudier. Le « Journal d’Anne Frank » est un exemple classique, mais il y a beaucoup d’ouvrages de qualité dans cette veine. Certains ouvrages intègrent des notions éducatives dans des histoires.

Raconter des histoires à des élèves plus âgés

Des enseignants peuvent penser que raconter des histoires à des élèves plus âgés n’est plus adapté, car une fois arrivés en sixième, les élèves pourraient y trouver un goût de maternelle. Mais en réalité ces enfants plus âgés raffolent des histoires, ils vont au cinéma et ils lisent des livres. Le problème est qu’écouter des histoires lues à haute voix en classe fait penser, à juste titre, à ce qui passe à l’école primaire. Les solutions sont assez simples. Les enseignants doivent avoir un langage adapté à l’âge de leurs élèves et il ne faut pas qu’ils signalent aux élèves qu’ils sont en train de raconter une histoire. A éviter  par exemple, lire un livre à haute voix, prendre une voix théâtrale, demander avec insistance à ne pas être interrompu dans la lecture… Il sera préférable que l’enseignant commence l’histoire sans annoncer qu’il s’agit d’une histoire, qu’il la raconte dans un langage ordinaire, qu’il travaille à partir de notes et qu’il permette des discussions en cours de lecture.

Quand « l’histoire » fait partie du cours, construire les leçons de la même façon que l’on construit une histoire

L’Histoire est une histoire naturelle bâtie avec les quatre « C »—causality, conflicts, complications, character—. Malgré cela, les manuels d’Histoire usent rarement de la structure narrative. Une façon d’enseigner l’Histoire comme une histoire est d’utiliser plus largement des livres non scolaires qui traitent l’Histoire avec des biographies ou des romans historiques ou de façon narrative.

Utiliser la structure en 4 « C » pour structurer les cours

Il y a plusieurs façons d’utiliser les quatre « C », comme pour structurer un plan de cours. Par exemple, un sujet classique aux États-Unis est celui de la guerre hispano-américaine de 1898, avec la réticence du président Cleveland, puis celle du président McKinley à se laisser entraîner dans la révolution cubaine contre les Espagnols, en dépit de l’enjeu économique considérable que les États-Unis avaient dans cette région du globe. Une succession d’événements (la publication d’une lettre d’insulte par le Ministre espagnol et le naufrage du bateau Maine) conduisit à un ultimatum américain, dont le rejet par les Espagnols amena les États-Unis à déclarer la guerre. Si on envisage ce cours d’Histoire en tenant compte des quatre « C », la structure devient différente. Le personnage fort dans ce drame devient l’Espagne et ses agissements vont gouverner le récit. Ainsi, l’enseignant pourrait commencer son cours en dépeignant la façon dont l’Espagne en vint à prendre le contrôle de Cuba et la révolte manquée de 1868–1878. Le conflit central de l’histoire est la façon dont les Espagnols auraient pu se comporter face à la révolte : la réprimer ou essayer de s’accommoder avec les Cubains. La première complication est l’implication croissante des États-Unis dans ce conflit, ce qui offre une troisième option—permettre aux États-Unis d’arbitrer. A chaque étape, l’enseignant doit s’assurer que le lien de cause à effet entre un événement et le suivant est clair pour les élèves. La structure narrative peut s’appliquer au plan du cours, même si le cours ne comporte pas d’histoire à véritablement parler.

Utiliser le « C » le plus important—conflit

Les scénaristes savent que le « C » le plus important est le « C » de conflit. Si l’auditoire n’est pas captivé par le problème auquel les personnages ont à faire face, il ne sera pas intéressé par l’histoire. Les films commencent rarement avec le conflit central qui est au cœur de l’histoire. Le conflit central est en général introduit dans un film au bout d’une vingtaine de minutes. Par exemple, le conflit de Star Wars est de savoir si Luke réussira à dLes scénaristes savent que le « C » le plus important est le « C » de conflit. Si l’auditoire n’est pas captivé par le problème auquel les personnages ont à faire face, il ne sera pas intéressé par l’histoire. Les films commencent rarement avec le conflit central qui est au cœur de l’histoire. Le conflit central est en général introduit dans un film au bout d’une vingtaine de minutes. Par exemple, le conflit de Star Wars est de savoir si Luke réussira à détruire l’étoile de la mort, mais le film commence par l’attaque de l’empire par un bateau rebelle et la fuite des deux droids. Tous les films de James Bond commencent par une séquence de poursuite, mais qui est toujours reliée à une autre mission que celle qui sera confiée à l’espion dans le film. La mission principale de l’Agent 007 est introduite au bout de 20 minutes dans le film. Les scénaristes utilisent ces 20 premières minutes—environ 20% du temps du film—pour piquer la curiosité de l’auditoire avec les personnages et leurs situations. Les enseignants devraient utiliser 10 ou 15 minutes en début de cours pour susciter l’intérêt des élèves pour un problème (c’est à dire un conflit), la solution du problème étant ce qui doit être appris.

*  *  *

Les histoires représentent quelque chose de puissant que les enseignants pourraient judicieusement exploiter. Les histoires ont une structure particulière et chacun de Les histoires ont quelque chose de puissant — les sciences cognitives le confirment—. Chacun de nous a, en lui, en sa mémoire, une représentation de la structuration particulière des histoires. Les enseignants peuvent exploiter cette puissance en choisissant de raconter une histoire en classe et en utilisant la structure des histoires pour faire une leçon.


Références

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Traduction en français par Anne Bernard-Delorme

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